En toutes franchises : au coeur du Valais du XIVe siècle
Des territoires qui se morcellent, s’échangent, se redessinent, une femme qui prend des décisions politiques que l’on ne discute pas, un prince-évêque assassiné, des traces d’ours dans la forêt, le tout sur fond de guerres et de Peste Noire… Par certains aspects, les événements qui rythment l’histoire du Valais au XIVe siècle n’ont rien à envier aux scénarios des séries à succès ! Mais comment faire de l’histoire et non de la fiction ?
Grâce aux Archives et aux musées du Canton du Valais, des voix nous parviennent du Moyen Âge : manuscrits et objets permettent d’imaginer avec plus de vérité le seigneur qui ordonne, le notaire qui écrit, le guerrier qui se bat, l’artisan qui sculpte ou qui forge…
Alors, prêt(e) à partir à la découverte de cette époque si trépidante?
Bon voyage !
Frise chronologique
1300 : Construction du château de Tourbillon
As-tu déjà essayé d’imaginer les deux collines de Sion sans Valère ni Tourbillon ?
C’est vers 1300 que l’évêque Boniface de Challant décide de construire un château sur la colline de Tourbillon. Cette forteresse (que tu peux voir sur la carte interactive) est désormais un symbole incontournable de Sion. Avec sa silhouette crénelée, il ressemble peut-être un peu à un dessin d’enfant.
Tourbillon n’a pas toujours eu ce profil : incendié en 1417 par les Patriotes ; reconstruit, puis définitivement endommagé par le grand incendie de Sion en 1788, ce fier bâtiment ne reste la résidence principale des Princes-Evêques que jusqu’à Guichard Tavel, qui préfère, dès 1373, s’installer au château de la Majorie, évitant ainsi à ses jambes, ou à celles de ses chevaux, la pénible montée jusqu’au sommet de la colline. Fermer
1342 : Tavel
Figure incontournable dans le paysage valaisan du XIVe siècle, le Prince-Evêque Guichard Tavel est surtout connu pour sa mort tragique (voir : chronologie en 1375). Son long règne de 33 ans débute en 1342 et couvre ainsi un tiers du XIVe siècle. La nomination de Guichard Tavel par le Pape Clément VI illustre une nouvelle fois l’influence de la Savoie sur le siège épiscopal à cette époque.
De 1336 à 1342, Guichard Tavel n’est autre que… le chancelier de la Savoie ! Il occupe ainsi une fonction capitale dans l’administration savoyarde puisque, comme le dit Samuel Guichenon (1697-1664), le Chancelier, « C’est l’œil du Prince, par lequel il regarde la face de son Etat ; c’est son oreille, par laquelle il entend les plaintes de ses Sujets ; c’est sa langue qui déclare sa volonté et prononce des Oracles de ses Edits. »
Cette nomination montre bien à quel point les rapports entre la Savoie et le Valais sont complexes. Les Valaisans se voient attribuer un chef pro-savoyard ! Cela créera inévitablement tout au long du règne de Guichard Tavel des tensions entre les différents acteurs politiques et religieux.Fermer
1343 : Amédée VI Comte de Savoie
Alors qu’il vient de perdre successivement sa mère – morte en couches le 24 décembre 1342 – puis son père, Aymon de Savoie, en 1343, le jeune Amédée VI (âgé seulement de 9 ans) hérite du trône de la Savoie.
Il est placé sous la tutelle de ses oncles (Louis II de Vaud et Amédée III de Genève) jusqu’à l’âge de 14 ans, où il dirige seul le Comté de Savoie.
Initié très tôt aux arts militaires, il se forge une réputation de solide guerrier dans les tournois. Son surnom de « Comte Vert » lui vient de la couleur de la cuirasse qu’il porte lors d’un célèbre tournoi à Chambéry.
C’est à 18 ans qu’on le retrouve sous les murailles de Sion, à l’ombre desquelles on prétend qu’il a été adoubé chevalier avant de mettre la ville à sac et de lui imposer son joug.
En 1355, il épouse Bonne de Bourbon (elle n’a que 14 ans !). Il s’agit bien sûr d’un mariage arrangé, comme c’est le cas entre les nobles de cette époque. Il semble cependant que cette union soit plutôt heureuse, malgré les nombreuses absences du Comte.Fermer
1347-48-49 : La Peste Noire
Venue d’Asie, la Peste Noire débarque en Europe en novembre 1347, dans un port de la Méditerranée (Gênes ou Marseille).
Comment se propage-t-elle ? Les coupables : les rats noirs… ou plutôt, leurs puces. Comme à cette époque, on ne comprend pas ce mode de contamination, on voit dans cette épidémie une punition divine, ou alors, on cherche des boucs émissaires. Les nobles, les lépreux, mais surtout les Juifs sont accusés d’être responsables de ce terrible fléau. En septembre 1348, une quarantaine de Juifs sont torturés à Chillon puis brûlés. Semblables persécutions auront lieu dans plusieurs villes de Suisse (Fribourg, Zofingue, Berne, Bâle) et d’Europe.
La Peste se répand partout... Le Valais n’est pas épargné ! Elle remonte la vallée du Rhône à l’hiver 1348-1349. Sur son passage, elle tue entre un tiers et la moitié des populations dépourvues d’anticorps contre cette maladie.
Si le Moyen Âge est une époque très colorée, il ne faut toutefois pas oublier que le XIVe siècle valaisan possède ses périodes sombres. Quelle misère que cette Peste Noire qui s’ajoute aux guerres !
Cette maladie revient régulièrement, fauchant sans distinction parmi toutes les couches de la société. Elle n’épargne pas le comte de Savoie, Amédée VI, qui, comme une bonne partie de son armée, l’attrape en 1383 et en meurt.
Il ne reste aujourd’hui que peu de traces de cette catastrophe dans les Archives. On la déduit davantage des tenues de comptes qui s’interrompent, d’un changement d’écriture, ou alors dans de pieux testaments écrits dans l’urgence par des femmes ou des hommes se sachant condamnés.
En Valais, la forte baisse démographique provoque d’importants changements dans l’agriculture ; les champs qui ne sont plus cultivés (faute de main-d’œuvre) deviennent des prés propices à l’élevage des bovins. S’ensuit un développement considérable du système d’irrigation : on creuse de nouveaux bisses. Telle est l’hypothèse de l’historien valaisan Pierre Dubuis.Fermer
1352 : Siège de Sion
En 1352, une guerre éclate entre les sept Dizains qui se révoltent contre leur évêque, Guichard Tavel, pro-savoyard. Celui-ci sollicite l’aide de la Savoie et, le 3 novembre 1352, le Comte Amédée VI intervient en personne et marche sur Sion à la tête de son armée. La ville est mise à sac, incendiée et pillée de même que la cathédrale. Les chanoines refusent dès lors de dire la messe et de pratiquer les enterrements ou les processions. Ils n’assurent plus que baptêmes et confessions.Fermer
1361 : Paix d’Evian
Au XIVe siècle le territoire du Valais épiscopal est divisé en sept Dizains : Mons Dei (Conches), Brigue, Viège, Rarogne, Loèche, Sierre et Sion. Ces dizains sont administrés par un major (Loèche, Rarogne, Mons Dei) ou par un châtelain (Brigue, Viège, Sierre et Sion). Une assemblée comprenant les représentants des Dizains, l’Évêque et le Chapitre de Sion se réunit deux fois par année, en mai et en décembre, et au besoin, en « sessions extraordinaires » : cette assemblée, c’est la Diète.
Dès le début de son épiscopat, Guichard Tavel contrarie le pouvoir des Dizains. Il refuse au Baron Pierre de la Tour la majorie de Loèche pour des raisons politiques : commence une guerre privée entre les De la Tour et l’Evêque. Ce conflit se transforme très vite en une guerre ouverte entre les Dizains et l’Evêque. En 1352, le Comte Amédée VI de Savoie vient en aide à Tavel et soumet le pays.
Les Dizains se divisent face à cette occupation savoyarde : alors que les Dizains romands demandent de l’aide à l’Empereur Charles IV, les Dizains haut-valaisans se rapprochent des Waldstätten (Zurich, Lucerne, Schwytz et Unterwald).
Charles IV entend l’appel des Dizains romands et prend le Valais sous sa protection. Mais, comme le Comte de Savoie prête lui aussi hommage à l’Empereur, ce dernier abandonne le Valais à son sort.
Les Valaisans se voient contraints d’accepter la paix proposée par Amédée VI ; elle est signée le 11 mars 1361 à Evian. La Savoie s’engage à renoncer à intervenir dans les affaires du Valais (pour un temps seulement…). La Diète, où siègent les représentants des Dizains, présidée par l’Evêque, participe désormais activement au gouvernement.Fermer
1375 : Mort de Guichard Tavel
Comment se représenter ce qui s’est passé au château de la Soie le 8 août 1375 ?
Le Prince-Evêque Guichard Tavel, chef religieux et politique du Valais, est assassiné par des sbires d’Antoine de la Tour. Les assassins se saisissent de lui dans le jardin du château épiscopal de la Soie et balancent son corps du haut de la colline, du côté nord, dit-on, dans les flancs escarpés.
Cet assassinat met brutalement fin à la vie d’un personnage politique controversé qui, par ses exactions, ses multiples traités d’alliances, ses volte-face, s’est mis à dos une bonne partie de la population et de la noblesse valaisannes.
Ce crime ne reste pas impuni : les De la Tour sont expulsés du Valais ; leur château d’Ayent est détruit et ils doivent vendre tous leurs fiefs ; c’est Edouard de Savoie qui les rachète à un prix exorbitant (40'000 florins d’or !).Fermer
1383 : Mort d’Amédée VI de Savoie
Le 1er mars 1383, le Comte de Savoie Amédée VI, en pleine campagne militaire dans le Sud de l’Italie, est fauché par la peste qui décime son armée depuis plusieurs mois. Avant de mourir, il confie à son maréchal, Gaspard de Montmayeur, l’anneau de Saint-Maurice, symbole du pouvoir de la famille de Savoie pour qu’il le transmette à son fils. Sur le chemin du retour par voie maritime, Gaspard de Montmayeur est également atteint par la peste : il est débarqué en Ligurie, où il meurt à son tour.
Le convoi funéraire poursuit sa route à travers le Piémont pour n’atteindre que le 8 mai l’Abbaye de Hautecombe, près du Lac du Bourget où se trouvent déjà Bonne de Bourbon et Amédée VII, désormais nouveau Comte de Savoie. Amédée VI est inhumé en l’Abbaye à l’âge de 49 ans, après 40 ans de règne.Fermer
1384 : Sac de Sion
Après la mort du comte Amédée VI, les Communautés valaisannes se révoltent contre leur évêque, Edouard de Savoie, et le forcent à quitter la ville. Ce dernier demande l’aide de son cousin, le Comte Amédée VII. Une expédition punitive est entreprise par le Comte de Savoie. Le 20 août 1384, la ville de Sion est assiégée et pillée. Des conditions très dures sont imposées aux vaincus par les Savoyards : Edouard de Savoie est rétabli sur son trône et les Communautés valaisannes doivent donner en dédommagement à la Savoie tous les territoires épiscopaux situés à l’ouest de la Morge (Martigny, Ardon-Chamoson). Elles doivent également rendre les châteaux de Tourbillon, de la Majorie et de la Soie. Les frais de guerre sont à la charge des Valaisans. Fermer
1386-1392 : Un petit zoom sur le Grand Schisme d’Occident
De 1378 à 1392, les évêques qui se succèdent sur le trône épiscopal de Sion (Edouard de Savoie, Guillaume de la Baume-Sainte-Amour, Robert Chambrier, Humbert de Billens) reconnaissent le Pape d’Avignon. À cette époque, deux branches se disputent le pouvoir papal : l’une à Rome, et l’autre installée à Avignon. Ce Grand Schisme dure jusqu’en 1417 !
Dès 1392, la Savoie renonce à influencer la nomination des évêques sédunois. De 1392 à 1417, les trois évêques suivants reconnaissent le Pape de Rome.
Il est important d’analyser les rivalités entre Haut-Valaisans et Savoyards aussi à la lumière de ces tensions qui troublent la Chrétienté : les Haut-Valaisans soutiennent le Pape de Rome, les Savoyards celui d’Avignon.Fermer
9 octobre 1387 : Traité de Salquenen
La signature de traités est importante pour les personnes qui y participent, mais aussi pour les historiens, car ce sont des documents officiels importants que les Archives ont conservés.
Le 9 octobre 1387, le Comte Amédée VII de Savoie et la commune de Loèche (dirigée par Pierre de Rarogne) concluent un traité de paix. Cet épisode apparaît comme une des nombreuses tentatives des comtes de Savoie de dicter leurs conditions aux Valaisans.Fermer
1388 : Bataille de Viège
23 décembre 1388 : une date-clé dans le conflit qui oppose Savoyards et Haut-Valaisans.
Le Comte Rouge Amédée VII confie à son allié, le Comte Rodolphe IV de Gruyère, la mission de soumettre le Valais qui a pris les armes contre le nouvel évêque Humbert de Billens. Une importante armée remonte le Rhône. La bataille décisive a lieu à Viège ; peu de précisions nous sont parvenues, mais on raconte que le camp des Savoyards est incendié durant la nuit et que, le 23 décembre 1388, les Haut-Valaisans, sous la conduite de Pierre de Rarogne, et peut-être aussi de Simon Murmann, défont l’armée savoyarde dans la localité de Viège. Ils auraient aussi profité des froids de l’hiver pour geler les rues du bourg en déversant de l’eau rendant ainsi très difficile la progression des Savoyards.
Une certitude : la défaite retentissante des Savoyards contribue (avec le décès d’Amédée VII trois ans plus tard et la signature du traité de paix avec Bonne de Bourbon) à mettre un terme aux projets d’expansion de la Savoie en terres haut-valaisannes.
À l’entrée du vieux bourg de Viège, un bloc appelé la « Pierre Bleue » rappelle sobrement cet événement que les Viégeois commémorent encore aujourd’hui (!) chaque année le mercredi avant Noël. Fermer
1er novembre 1391 : Mort d’Amédée VII
Et si le destin du Valais avait dépendu d’un sanglier… ?
En octobre 1391, le belliqueux Comte de Savoie Amédée VII songe sérieusement à remettre une nouvelle fois à l’ordre ces rebelles de Valaisans ! Les préparatifs d’une nouvelle expédition guerrière dans notre pays battent leur plein.
Cette expédition n’aura jamais lieu, car, le 1er novembre 1391, Amédée VII meurt des suites d’une vilaine blessure causée par une chute de cheval alors que, dit-on, il poursuivait un sanglier.
Rapidement, une rumeur circule : le Comte aurait été empoisonné par son « médecin », Jean de Granville et son apothicaire, Pierre de Lompnes.
Torturés tous les deux, ils avouent leur culpabilité et impliquent, dans ce complot imaginaire, le célèbre poète et chevalier, Othon de Grandson. Si Jean de Granville parvient à s’enfuir en Angleterre, Pierre de Lompnes est exécuté avec une indicible cruauté. Othon de Grandson, qui s’est enfui dans un premier temps, revient au pays et cherche à laver son honneur dans un duel judiciaire qui entraîne sa mort. Très peu de temps après, ces personnes seront réhabilitées.
Le véritable assassin ? Probablement le tétanos.
Cet épisode rocambolesque fait l’affaire des Valaisans : Amédée VIII n’ayant que huit ans, c’est Bonne de Bourbon qui reprend les rênes de la Savoie. Un an après, en… 1392, elle signe un traité de paix avec les Valaisans.Fermer
1392 : Traité de paix et partage du Valais à la Morge
Près d’un an après la mort de son fils Amédée VII, Bonne de Bourbon conclut une paix avec l’évêque et les communautés du Valais le 24 novembre 1392. Il s’agit d’un choix stratégique : la Savoie renonce à ses prétentions sur le Valais épiscopal et abandonne ses projets d’expansion vers l’est et ses envies de contrôler le Simplon. Ravagés par la peste et par la guerre, nos territoires ne présentent plus autant d’intérêt, d’autant que le col du Simplon est moins utilisé, suite au déclin des foires de Champagne.
Dans ce traité, la Savoie et l’évêque font un échange de territoires ; chaque partie renonce à ses anciennes possessions situées au-delà de la rivière.Fermer
1417 : Guerres de Rarogne et Paix d’Evian (1418)
La Paix d’Evian met fin à plusieurs années de guerre entre les Dizains Hauts-Valaisans et la puissante famille des Rarogne. La raison de ce conflit ? Guichard de Rarogne obtient de l’Empereur Sigismond la souveraineté héréditaire sur le Valais. Impensable pour les Dizains Hauts-Valaisans ! Ils ne vont tout de même pas céder à la famille des Rarogne des libertés si chèrement acquises !
C’est la révolte : les Valaisans se rassemblent et marchent contre leur évêque, qui a aussi favorisé la Savoie. Le conflit s’intensifie et atteint son paroxysme en 1417 ; les châteaux des Rarogne - Beauregard, Tourbillon, la Soie, la Majorie, Montorge - sont pillés et brûlés au cours de cette guerre civile.
Ce conflit trouve sa résolution grâce à Amédée VIII, Comte de Savoie, qui fait signer aux différents acteurs un traité de paix à Evian, sur les bords du lac Léman, justifiant une fois de plus son surnom de « Pacifique ». Fermer